Tunisie : Une Urgence Pour Le Futur Mais Avec Qui Composer ?
Renforcer les infrastructures, protéger, décarboner, améliorer l´efficacité énergétique… le rapport de la Banque mondiale sur la Tunisie prend peu de risque. Il reste évasif quant aux moyens financiers non conventionnels à mobiliser et à la nécessaire formation des ressources humaines.
Publié à l´occasion de la COP28, le rapport de la Banque mondiale sur la Tunisie présente une tonalité plutôt alarmiste. Sa centaine de pages nous éloigne de l´image de la belle Tunisie, celle ancrée dans l´imaginaire collectif. Le ton est sec et sans concessions. Le changement climatique est en train de d´impacter les Tunisiens de manière inexorable.
En particulier, 2050 apparaît comme une date fatidique où tout va changer. D´abord l´augmentation simultanée de la fréquence des risques climatiques extrêmes. À cela se rajoute un stress hydrique majeur puisque la demande d´eau pourrait dépasser l´offre de 28 % !
Face à une situation inédite et urgente, on ne peut pas continuer à mobiliser les mêmes instruments conventionnels. Et puis quid de la formation au-delà de la formation technique évoquée dans le rapport ?
Ensuite, la description de l´érosion côtière de 70 cm par an et la submersion des terres, due à l´élévation du niveau de la mer et les inondations, font froid dans le dos.
Le rapport tranche clairement et froidement : « Si la Tunisie ne gère pas de manière urgente ces risques liés aux changements climatiques, l´économie pourrait se contracter de 3,4 % en termes de PIB d´ici 2030 (près de 5,6 milliards de dinars ou 1,8 milliard de dollars) par an en valeur actuelle nette ».
Où trouver les moyens ?
La Tunisie est tenue par la CDN qu´elle a définie. La « Contribution déterminée au niveau national », est un plan d´action climatique visant à réduire les émissions et à s´adapter aux effets des changements climatiques. La Tunisie, pour réaliser sa CDN, a besoin d´environ 19,4 milliards $ sur la période 2021-2030 or le budget annuel du pays ne dépasse pas les 25 milliards $. En d´autres termes où trouver cet argent ?
![](https://magazinedelafrique.com/wp-content/uploads/2023/12/BM-Saidane_1-1024x622.jpg)
Or, la Tunisie dispose de fonctions de gouvernance du changement climatique encore faibles : pas de loi-cadre, pas d´évaluation des risques, pas de dépenses climatiques prévues au Budget…
Face à un État déjà engourdi par les crises économique et sociale, l´action sur le climat en Tunisie apparaissait il y a à peine trois ans en seconde position, voire n´être qu´un luxe. Aujourd´hui la question du climat et celle de la RSE (responsabilité sociale des entreprises) en général sont abordées en rang dispersé. Chacun y va de sa vision et de son « son de cloche » mêlant organismes publics et privées, bref une cacophonie amplifiée par une profusion d´experts autoproclamés.
Quels financements ?
Suggérant au pays de renforcer les infrastructures, de protéger, de décarboner, d´améliorer l´efficacité énergétique, etc., le rapport prend peu de risque et reste très classique dans ses suggestions.
À l´éternelle idée de réduction des dépenses, y compris des subventions énergétiques, se mêle l´idée que plusieurs domaines dépendront encore de l´investissement public. Il s´agit de l´investissement dans les infrastructures publiques comme l´approvisionnement en eau, la gestion côtière
Et, en même temps, le rapport suggère qu´il importe de compter sur les financements privés, bilatéraux, multilatéraux et internationaux, jugés essentiels pour répondre aux importants besoins d´investissement climatique.
Enfin, les banques pour financer et gérer les risques climatiques ne sont pas oubliées, ni même le marché financier.
![Note : Le RCP (ou PCR) 8.5 est le scénario le plus pessimiste retenu par la Banque mondiale en matière de réchauffement climatique.](https://magazinedelafrique.com/wp-content/uploads/2023/12/BM-Saidane_2-1024x543.jpg)
De belles idées respectables. Mais face à une situation inédite et urgente, on ne peut pas continuer à mobiliser les mêmes instruments conventionnels. Et puis quid de la formation au-delà de la formation technique évoquée dans le rapport ? Quid des experts ESG, des analystes de la transition écologique et numérique, des spécialistes qui définiront des solutions adaptées au pays notamment en matière de financement ? Qui va les former ? Autant dire que plusieurs maillons de la chaîne de la transition manquent à l´appel. Le mérite de ce rapport demeure néanmoins celui de lancer un débat structurant à la hauteur des enjeux qui affectent jour après jour ce beau pays.
Dhafer Saïdane est directeur du MSc Sustainable Finance & Fintech – SKEMA Business School